SKYFALL: A PLUS D’UN TITRE

James Bond sur la terre comme au (007? ) ciel.

Le nom Skyfall, qui donne son titre au dernier « Bond », désigne officiellement. le manoir ancestral de la famille du héros, mais à l’intérieur même du film, il peut s’appliquer à d’autres éléments, par exemple à la conclusion du prégénérique — chute vertigineuse de Bond depuis un viaduc ; ou encore à l’ambition du méchant telle qu’elle est résumée par son interprète Javier Bardem et qui consisterait à faire tomber, presque au sens littéral du terme, le ciel sur nos têtes… Il y a un peu de tout cela dans le film Skyfall, mais, à vrai dire, le mot skyfall pouvait s’appliquer parfaitement, bien avant Skyfall, à certaines des scènes, ou à certains des scénarios les plus mémorables de toute la série — à commencer par « l’appendice » qui nous avait été proposé en juillet dernier à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Skyfall : le saut en parachute simultané de 007 et de Sa Majesté la Reine. Skyfall : le fameux saut à ski de Bond dans un précipice avec pour coda le déploiement du parachute Union Jack au début de l’Espion. Skyfall : le point de départ de Thunderball, rejoignant une bavure authentique de l’aviation américaine (deux bombes atomiques malencontreusement tombées d’un avion à Palomarès) ; Skyfall : le saut à l’élastique dans le prégénérique de GoldenEye. Skyfall : la chute (trop) libre de Jaws, sans parachute, au début de Moonraker. Skyfall : « Just a drop in the ocean » dans On ne vit que deux fois. Skyfall : le saut en mini-parachute de Grace Jones du haut de la Tour Eiffel dans Dangereusement vôtre… Inutile, vraiment, d’aller plus loin : il n’y a guère de films où Bond n’aille faire un petit tour dans le ciel, puisque, de toute façon, nous savons bien que, pour lui, « le monde ne suffit pas ». Aucune raison de s’étonner qu’il puisse se promener dans l’espace. Comme le résumait si bien l’affiche quadripartite d’Opération Tonnerre, tous les éléments sont son élément. Et puis, va-t-on oublier que Fleming a « emprunté » le nom de son héros à un ornithologue auteur d’un livre sur les oiseaux de la Jamaïque ?

Mais tout n’est peut-être pas aussi simple, et Bond n’est pas Superman. Tout le monde se souvient du commentaire de l’un des deux méchants des Diamants après l’explosion d’un hélicoptère, déclenchée par leurs soins : « Si Dieu avait voulu que l’homme vole, il lui aurait donné des ailes. » Mais, dira-t-on, ce sont là des méchants qui parlent. Oui, à ceci près que cette phrase rejoint étrangement le commentaire de Bond lui-même dans l’Espion au moment où un motard ennemi tombe dans un précipice après avoir fait sauter un camion qui transportait des matelas : « All those feathers and he still couldn’t fly ! » En un mot, la série des Bond n’a pour le ciel qu’une fascination relative, qui s’explique sans doute par l’histoire et l’esprit même du peuple britannique.

L’histoire, c’est d’abord celle d’un peuple insulaire ayant conquis un empire en sillonnant les mers. Même si nous voyons souvent Bond aux commandes d’un avion, ayons constamment à l’esprit qu’il est d’abord Commander Bond, autrement dit capitaine de la marine britannique. Et là encore, comme dans bien d’autres aspects de la série, se dessine le tragique de l’Agent 007 et de ce qu’il représente. La Seconde Guerre mondiale a définitivement confirmé ce qu’avait esquissé la Première : désormais le pouvoir passe beaucoup plus par les airs que par les mers. L’Angleterre n’a pas été longue à le comprendre, mais elle ne peut pas ne pas regretter la suprématie maritime qui avait longtemps été la sienne. Toute la question est donc désormais de trouver une place dans un monde où les cartes ont été redistribuées.

Quant à l’esprit du peuple britannique en rapport avec le ciel, il ne saurait être mieux résumé que par la modification subie par le titre d’un film (de guerre, bien sûr) lors de son exploitation en France : The Eagle Has Landed est devenu chez nous l’Aigle s’est envolé. Quand les Français sont tout fiers et tout heureux de décoller, les Anglais sont beaucoup plus préoccupés par la question de l’atterrissage. Peuple pragmatique, peuple down to earth, peuple refusant de faire abstraction de la réalité, et donc des lois universelles de la gravité. Peuple aussi où l’on préférera toujours l’humilité à l’intelligence ostentatoire, quand bien même celle-ci serait celle d’un génie. Il n’y a qu’en France, paraît-il, qu’on ait jugé drôle la citation de la maxime de La Rochefoucauld dans les Diamants : « L’humilité est la pire forme de la vanité. » Cubby Broccoli en voulait beaucoup au scénariste Tom Mankiewicz d’avoir imposé cette réplique. Pour lui — et les témoignages sont là pour nous dire qu’il en était la preuve vivante —, l’humilité était l’humilité.

Disons donc qu’il y a dans les « Bond » une espèce de partage du ciel entre les bons et les méchants. Les premiers descendent ; les seconds montent. Bien sûr, il peut arriver à Bond de « prendre son envol » pour se tirer d’une situation difficile (fin d’Opération Tonnerre, séquence éblouissante de Permis de tuer où Timothy Dalton, grâce à un intermède de ski nautique sans skis, sort des fonds marins pour monter à bord d’un hydravion déjà en marche), mais dans l’ensemble, la série est marquée par un double paradoxe : les bateaux ont tendance à s’envoler (Vivre et laisser mourir et, à un moindre degré, Opération Tonnerre) cependant que les avions restent assez souvent cloués au sol (Vivre et laisser mourir, encore, où l’on n’hésite pas à casser beaucoup de matériel volant, ou Quantum of Solace, avec sa grande scène d’aéroport, mais qui ne décolle guère) — sans parler de l’atterrissage sous-marin de l’avion porteur de bombes dans Opération Tonnerre…

Alors, peut-être fallait-il tout simplement, avant de s’interroger sur le sens précis du mot composé Skyfall dans le nouveau « Bond », consulter le dictionnaire. Skyfall est l’un des mots quipeuvent désigner en anglais le Déluge. Et les méchants seraient peut-être comme un avertissement aimablement donné par Dieu à l’ensemble des hommes. Comme une vaccination : voici, mortels, ce qu’il ne faut pas faire ; ce qui risque de vous arriver si vous cédez à l’hybris, si vous voulez aller trop loin, autrement dit trop haut. Car quel est le vice commun à tous les méchants de la série ? D’une manière ou d’une autre, ils se prennent tous pour Dieu. A commencer par Blofeld, dont le nom (littéralement « Champ bleu ») pourrait bien être une métaphore du Ciel.

Il n’est pas interdit de voir en Bond, malgré ses traits légers et humoristiques, une espèce d’ange descendu sur terre (Spyfall ?) pour nous guérir de nos péchés. On connaît la Bible du Roi James, Bible officielle de tous les Anglais. Il y a peut-être aussi, entre les images de la série, la Bible du Roi James Bond.

2 Réponses to “SKYFALL: A PLUS D’UN TITRE”

  1. léo Says:

    Bravo pour cet article écrit dans un esprit assez britannique pour la défense d’un peuple subtil! Petit bémol néanmoins: James Bond en lui même ne serait il pas l’antithèse de l’humilité ?

    • texticules Says:

      James Bond, malgré toutes ses qualités, n’est qu’un fonctionnaire au service de la Reine. Peu importe donc ses états d’âme. Ce qui importe, c’est ce qu’il est objectivement.

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